Frank Andriat ministre, la naïveté au pouvoir ?

Moi ministre de l’Enseignement, le nouvel opus de Frank Andriat, ne me convainc pas plus que ‘Les profs au feu’ qui avait connu un joli succès l’an dernier.

Si le pamphlet confirmait l’opinion selon laquelle tout ce qui est excessif est insignifiant, ce livre-ci renforce une autre analyse : tout ce qui est insignifiant est excessif.

Le nouvel ouvrage de Frank Andriat part d’une bonne intention et on ne peut que saluer la volonté du pyromane de se transformer en capitaine des pompiers. Mais, hélas, les défauts qui faisaient que, l’an dernier, le pamphlet n’était guère plus qu’un pétard mouillé sont toujours aussi présents.

Le pamphlet s’accommode assez bien de la mauvaise foi, des raccourcis et des caricatures. Par contre, proposer une vision pour l’enseignement est un exercice autrement difficile et là l’élève Andriat est loin de mériter la grande distinction.

La cause de cet échec était déjà en germe dans l’ouvrage précédent. Frank est plein de préjugés, il ne connaît pas suffisamment le système qu’il veut réformer et il est intimement persuadé qu’on gère avec de bons sentiments.

La lecture des dix chapitres de son ouvrage fait immédiatement penser aux formules Yaka, Yfaukon. Dans un des chapitres clés (en tout cas selon moi) : ‘je défendrais une école de l’excellence pour tous’, on ne trouve ni idée claire, ni un peu concrète. Cette tête de chapitre est en fait un slogan (que certains médias vont répéter comme des perroquets), mais on chercherait en vain une piste de mise en œuvre de cet objectif.

D’autres recommandations ne sont guère plus sérieuses parce qu’elles sont déconnectées de la réalité du monde d’aujourd’hui. Je ne suis pas un fanatique de PISA, ni des évaluations externes (certificatives ou non), mais il est excessif de jeter l’enfant avec l’eau du bain. Il y a des enseignements positifs à tirer de ces dispositifs, encore notre auteur devrait-il en faire une analyse pertinente au lieu de rester au niveau du cliché.

Notre réformateur veut changer le système, encore faudrait-il qu’il le connaisse.

Ce n’est pas son parcours professionnel qui peut l’y aider. École primaire, secondaire, université, retour comme prof dans la même école secondaire, des années de carrière à mi-temps pour pouvoir écrire, on est loin d’un parcours risqué et riche d’expériences diverses. Certes, il se prévaut d’avoir rencontré plein d’enseignants, mais chacun sait la valeur toute relative que l’on peut accorder aux témoignages. Par contre, notre candidat ministre n’a jamais approché l’enseignement qualifiant, n’a jamais été inspecté, ne participe qu’exceptionnellement à des formations. Prof dans une de ces bonnes écoles comme il les aime, il ne s’est jamais vraiment frotté aux élèves difficiles. Cela ne lui interdit évidemment pas de témoigner ni de proposer, mais cela lui ôte le droit de le faire à partir de son expérience personnelle. Frank Andriat est peut-être un témoin du système, mais il faut reconnaître qu’il est un témoin indirect d’un nombre important de réalités de l’enseignement.

Frank Andriat est présenté comme un ‘témoin privilégié’, je partage ce vocable, mais je lui donne évidemment un tout autre sens.

Cette expérience très imparfaite de la réalité de l’école se cumule à un autre défaut de l’auteur, déjà présent dans précédent ouvrage qui devient caricatural dans celui-ci : le goût immodéré pour le préjugé.

Notre auteur a des amis, les profs, dont il a une vision idyllique. Ils sont la solution, le recours et le socle de toutes les réformes proposées dans le bouquin. Ils sont victimes d’un système qui les écrase. Il faut laisser faire les profs et tout ira bien. Ces collègues sont d’ailleurs si extraordinaires qu’on cherchera en vain dans cette déclaration de politique générale la plus petite allusion à la formation initiale ou continuée.

Il a aussi des ennemis. Et Decroly, Freinet et Montessori savent qu’ils sont nombreux. Il y a les ‘pédagogues’, les ‘technocrates’, les ‘politiques’, l’OCDE, les ‘Inspecteurs’, etc. Ces catégories sont évidemment floues et ne font pas l’objet d’identifications claires. Ignorance des finesses du fonctionnement ou prudence, je ne saurais dire, mais je soupçonne toutefois une tendance à critiquer tout le monde joint à un grand souci de ne vexer personne. Il n’en reste pas moins qu’une part importante du bouquin devient pontifiante à force de critiques qui ne s’adressent en fait à on ne sait trop qui.

Cette fois-ci, notre auteur s’est bien gardé d’en remettre une couche sur les inspecteurs, ces ayatollahs. Mais on sent bien qu’il ne les aime guère. Il a d’ailleurs des idées pour eux, il veut les renvoyer ‘sur le terrain’ une année sur deux. C’est dans ce passage (p. 57 à 59) que Frank Andriat révèle les côtés les moins sympathiques de son approche. Quand il écrit, sans rire : « une année sur le terrain à affronter le réel et une année dans leur bureau climatisé [souligné par moi] pour réfléchir à des théories plus efficaces », Andriat démasque son ignorance, son mépris et son poujadisme. Personne ne lui demande d’être toujours d’accord avec les pédagogues ou les inspecteurs, mais l’argument du bureau climatisé n’a qu’un objectif : flatter la démagogie des enseignants de base. Quand on sait que mes collègues de l’inspection de la CFWB n’ont pas de bureau et travaillent dans les écoles, dans les trains ou chez eux, on ne peut que mesurer l’étendue de l’ignorance de notre futur ministre.

En maudissant les ‘pédagogues’, Andriat se maudit d’ailleurs lui-même. Il est agrégé de l’enseignement secondaire supérieur, cela fait de lui – volens nolens – un pédagogue. On peut dès lors regretter surtout son incapacité à dialoguer. Enseignant, puis inspecteur, je ne me suis pas transformé en valet servile de la première théorie pédagogique qui passe. J’ai toujours voulu être, comme beaucoup d’autres, un ‘enseignant réflexif’. Andriat n’essaye pas de déconstruire l’institution, il plaque sur elle des réflexions dignes du café du commerce.

Il rend, de plus, un très mauvais service à la profession. Beaucoup d’enseignants ont un rapport étrange avec la réalité. Leur expérience avec le monde de l’entreprise, de l’économie, du chômage est parfois très limitée, leur maîtrise du fonctionnement de nos institutions aussi, ce qui est interpellant quand on sait qu’une de leur mission est de former des citoyens. En s’inscrivant sans nuance dans le discours dominant (tous nuls, tous pourris… tous contre nous), il ne fait que renforcer l’image négative de la profession alors que celle-ci est exercée au quotidien par de nombreux collègues qui trouvent encore de la satisfaction dans ce qu’il font. Mais peut-être faudrait-il obliger les profs-écrivains à revenir, un an sur deux, enseigner à temps plein en professionnel ou dans le spécialisé ?

Sans la liberté de blâmer, il n’est pas d’éloge flatteur. N’est, hélas, pas Figaro qui veut. Les répliques du barbier frappent juste, les pontifiantes rodomontades de notre super prof tombent à plat, il va falloir trouver un autre candidat pour ce ministère.

  1. Poster un commentaire

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

%d blogueurs aiment cette page :